lunes, marzo 18, 2019

Le soir approche et déjà le jour baisse

Nicolas Diat et Cardinal Robert Sarah 
Pour Benoît XVI, artisan incomparable de la reconstruction de l’Église.

Pour François, fils fidèle et dévoué de saint Ignace.

Pour les prêtres du monde entier, en action de grâce à l’occasion de mon Jubilé d’or sacerdotal.


« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? »
Lettre de saint Paul aux Romains

Hélas, Judas Iscariote
« Si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40).
« Un traître est un homme qui jure et qui ment. »
William Shakespeare, Macbeth
Pourquoi prendre à nouveau la parole ? Dans mon dernier livre, je vous invitais au silence. Pourtant, je ne peux plus me taire. Je ne dois plus me taire. Les chrétiens sont désorientés. Chaque jour, je reçois de toute part les appels au secours de ceux qui ne savent plus que croire. Chaque jour, je reçois à Rome des prêtres découragés et blessés. L’Église fait l’expérience de la nuit obscure. Le mystère d’iniquité l’enveloppe et l’aveugle.

Quotidiennement nous parviennent les nouvelles les plus terrifiantes. Il ne passe pas une semaine sans qu’un cas d’abus sexuel ne soit révélé. Chacune de ces révélations vient lacérer notre cœur de fils de l’Église. Comme le disait saint Paul VI, les fumées de Satan nous envahissent. L’Église, qui devrait être un lieu de lumière, est devenue un repaire de ténèbres. Elle devrait être une maison de famille sûre et paisible, et voilà qu’elle est devenue une caverne de brigands ! Comment pouvons-nous supporter que parmi nous, dans nos rangs, se soient introduits des prédateurs ? Nombre de prêtres fidèles se comportent chaque jour en bergers attentionnés, en pères pleins de douceur, en guides fermes. Mais certains hommes de Dieu sont devenus les agents du Mauvais. Ils ont cherché à souiller l’âme pure des plus petits. Ils ont humilié l’image du Christ présente en chaque enfant.
Les prêtres du monde entier se sont sentis humiliés et trahis par tant d’abominations. À la suite de Jésus, l’Église vit le mystère de la flagellation. Son corps est lacéré. Qui porte les coups ? Ceux-là même qui devraient l’aimer et la protéger ! Oui, j’ose emprunter les mots du pape François : le mystère de Judas plane sur notre temps. Le mystère de la trahison suinte des murs de l’Église. Les abus sur les mineurs le révèlent de la manière la plus abominable. Mais il faut avoir le courage de regarder notre péché en face : cette trahison-là a été préparée et causée par beaucoup d’autres, moins visibles, plus subtiles mais tout aussi profondes. Nous vivons depuis longtemps le mystère de Judas. Ce qui apparaît désormais au grand jour a des causes profondes qu’il faut avoir le courage de dénoncer avec clarté. La crise que vivent le clergé, l’Église et le monde est radicalement une crise spirituelle, une crise de la foi. Nous vivons le mystère d’iniquité, le mystère de la trahison, le mystère de Judas.

Permettez-moi de méditer avec vous sur la figure de Judas. Jésus l’avait appelé comme tous les apôtres. Jésus l’aimait ! Il l’avait envoyé pour annoncer la Bonne Nouvelle. Mais peu à peu le doute s’est emparé du cœur de Judas. Insensiblement, il s’est mis à juger l’enseignement de Jésus. Il s’est dit : ce Jésus est trop exigeant, peu efficace. Judas a voulu faire advenir le Royaume de Dieu sur la terre, tout de suite, par des moyens humains et selon ses plans personnels. Pourtant, il avait entendu Jésus lui dire : « Vos pensées ne sont pas mes pensées, vos voies ne sont pas mes voies » (Is 55, 8). Judas s’est malgré tout éloigné. Il n’a plus écouté le Christ. Il ne l’a plus accompagné dans ces longues nuits de silence et de prière. Judas s’est réfugié dans les affaires du monde. Il s’est occupé de la bourse, de l’argent et du commerce. Le menteur continuait à suivre le Christ, mais il n’y croyait plus. Il murmurait. Le soir du Jeudi Saint, le Maître lui a lavé les pieds. Son cœur devait être bien endurci pour ne pas se laisser toucher. Le Seigneur était là devant lui, à genoux, serviteur humilié, lavant les pieds de celui qui devait le livrer. Jésus a posé sur lui une dernière fois son regard plein de douceur et de miséricorde. Mais le diable s’était déjà introduit dans le cœur de Judas. Il n’a pas baissé les yeux. Intérieurement, il a dû prononcer l’antique mot de la révolte : « non serviam », « je ne servirai pas ». Lors de la Cène, il a communié alors que son projet était arrêté. Ce fut la première communion sacrilège de l’histoire. Et il a trahi.
Judas est pour l’éternité le nom du traître et son ombre plane aujourd’hui sur nous. Oui, comme lui, nous avons trahi ! Nous avons abandonné la prière. Le mal de l’activisme efficace s’est infiltré partout. Nous cherchons à imiter l’organisation des grandes entreprises. Nous oublions que seule la prière est le sang qui peut irriguer le cœur de l’Église. Nous affirmons que nous n’avons pas de temps à perdre. Nous voulons employer ce temps à des œuvres sociales utiles. Celui qui ne prie plus a déjà trahi. Déjà, il est prêt à toutes les compromissions avec le monde. Il marche sur la voie de Judas.
Nous tolérons toutes les remises en cause. La doctrine catholique est mise en doute. Au nom de postures soi-disant intellectuelles, des théologiens s’amusent à déconstruire les dogmes, à vider la morale de son sens profond. Le relativisme est le masque de Judas déguisé en intellectuel. Comment s’étonner lorsque nous apprenons que tant de prêtres brisent leurs engagements ? Nous relativisons le sens du célibat, nous revendiquons le droit à avoir une vie privée, ce qui est contraire à la mission du prêtre. Certains vont jusqu’à revendiquer le droit à des comportements homosexuels. Les scandales se succèdent, chez les prêtres et chez les évêques.
Le mystère de Judas s’étend. Je veux donc dire à tous les prêtres : restez forts et droits. Certes, à cause de quelques ministres, vous serez tous étiquetés comme homosexuels. On traînera dans la boue l’Église catholique. On la présentera comme si elle était entièrement composée de prêtres hypocrites et avides de pouvoir. Que votre cœur ne se trouble pas. Le Vendredi Saint, Jésus était chargé de tous les crimes du monde, et Jérusalem hurlait : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! » Nonobstant les enquêtes tendancieuses qui vous présentent la situation désastreuse d’ecclésiastiques irresponsables à la vie intérieure anémiée, aux commandes du gouvernement même de l’Église, restez sereins et confiants comme la Vierge et saint Jean au pied de la Croix. Les prêtres, les évêques et les cardinaux sans morale ne terniront en rien le témoignage lumineux des plus de quatre cent mille prêtres à travers le monde qui, chaque jour et dans la fidélité, servent saintement et joyeusement le seigneur. Malgré la violence des attaques qu’elle peut subir, l’Église ne mourra pas. C’est la promesse du Seigneur, et sa parole est infaillible.

Les chrétiens tremblent, vacillent, doutent. J’ai voulu ce livre pour eux. Pour leur dire : ne doutez pas ! Tenez ferme la doctrine ! Tenez la prière ! J’ai voulu ce livre pour réconforter les chrétiens et les prêtres fidèles.
Le mystère de Judas, le mystère de la trahison, est un poison subtil. Le diable cherche à nous faire douter de l’Église. Il veut que nous la regardions comme une organisation humaine en crise. Pourtant, elle est tellement plus que cela : elle est le Christ se continuant. Le diable nous pousse à la division et au schisme. Il veut nous faire croire que l’Église a trahi. Mais l’Église ne trahit pas. L’Église, pleine de pécheurs, est elle-même sans péchés ! Il y aura toujours assez de lumière en elle pour ceux qui cherchent Dieu. Ne soyez pas tentés par la haine, la division, la manipulation. Il ne s’agit pas de créer un parti, de nous dresser les uns contre les autres : « Le Maître nous a mis en garde contre ces dangers au point de rassurer le peuple, même à l’égard des mauvais pasteurs : il ne fallait pas qu’à cause d’eux on abandonnât l’Église, cette chaire de la vérité […] Donc ne nous perdons pas dans le mal de la division, à cause de ceux qui sont mauvais », disait déjà saint Augustin (lettre 105).

L’Église souffre, elle est bafouée et ses ennemis sont à l’intérieur. Ne l’abandonnons pas. Tous les pasteurs sont des homme pécheurs, mais ils portent en eux le mystère du Christ.
Que faire alors ? Il ne s’agit pas de s’organiser et de mettre en œuvre des stratégies. Comment croire que par nous-même nous pourrions améliorer les choses ? Ce serait entrer encore dans l’illusion mortifère de Judas.
Face au déferlement des péchés dans les rangs de l’Église, nous sommes tentés de vouloir prendre les choses en mains. Nous sommes tentés de vouloir purifier l’Église par nos propres forces. Ce serait une erreur. Que ferions-nous ? Un parti ? Un courant ? Telle est la tentation la plus grave : les oripeaux de la division. Sous prétexte de faire le bien, on se divise, on se critique, on se déchire. Et le démon ricane. Il a réussi à tenter les bons sous l’apparence du bien. Nous ne réformons pas l’Église par la division et la haine. Nous réformons l’Église en commençant par nous changer nous-mêmes ! N’hésitons pas, chacun à notre place, à dénoncer le péché en commençant par le nôtre.
Je tremble à l’idée que la tunique sans couture du Christ risque à nouveau d’être déchirée. Jésus a souffert l’agonie en voyant par avance les divisions des chrétiens. Ne le crucifions pas à nouveau ! Son cœur nous supplie : il a soif d’unité ! Le diable craint d’être nommé par son nom. Il aime à se draper dans le brouillard de l’ambiguïté. Soyons clairs. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus.